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DESNOS, Les Rayons et les ombres

Un poète surréaliste dans les salles obscures

Nadja, le 26 octobre 2010

En un temps où le cinéma était considéré par les élites comme un "divertissement d’ilotes" (voir à ce propos notre billet sur Georges Duhamel), les surréalistes, à la suite d’Apollinaire, se plurent à célébrer les salles obscures et les films, parfois les plus idiots, qui y étaient diffusés au grand scandale de la bonne société. Enthousiastes de la première heure, fascinés par le "stupéfiant-image" projeté sur grand écran, ils furent cependant nombreux à s’en éloigner à l’avènement du film parlant.

Dans des textes pleins d’humeur, Robert Desnos dénonce les effets néfastes de ce dernier. Il condamne le parlant parce qu’il semble restreindre la portée, autrefois universelle, du cinéma à une échelle nationale mais aussi parce qu’il implique la disparition des cartons, dont le poète était un fervent défenseur. Enfin et surtout parce qu’il vient doublement suppléer au rôle de l’imagination : en donnant à entendre les voix des acteurs (et surtout des actrices) que le spectateur était jusqu’alors libre d’imaginer et en clarifiant une intrigue à laquelle le muet permettait de garder ça et là une obscurité toute poétique.

C’est ce désir de clarté qui offusque Desnos et lui fait craindre que le cinéma ne sombre dans « la sale littérature et le réalisme ».

Cette histoire de film parlant est une plaisanterie d’été.

À bas l’obscurité, ont crié nos bons apôtres, suivis par les Panurge de la clarté française. Ça n’a pas tardé. On a tellement éclairé, tellement expliqué, tellement mis de sous-titres que la salle est devenue trop claire et qu’il n’y a plus rien du tout sur l’écran.

Quant aux films parlants, une seule chose me surprend : comment fera-t-on pour jouer des films étrangers ? en langue étrangère ? Ces dialogues incompréhensibles seront bien exaspérants pendant toute une soirée.

Alors ? Traduire, mettre une autre voix dans ces belles bouches ? Une voix très Comédie-Française ? Quelle rigolade !
Imaginez-vous Nazimova ou Betty Compson parlant par la voix grotesque de n’importe quelle actrice de la rue Richelieu ! Et les affiches : Film joué par Mary Pickford et parlé en français par Cécile Sorel !
N’insistons pas. Cette histoire de film parlant est une plaisanterie d’été.

Un autre extrait savoureux où Desnos menace les censeurs avec une réjouissante perversité :

Prends garde, censeur, regarde cette main de femme palpiter au premier plan, regarde cet œil ténébreux, regarde cette bouche sensuelle, ton fils en rêvera cette nuit et, grâce à eux, il échappera à la vie d’esclave à laquelle tu le destinais. Regarde cet acteur tendre, mélancolique et audacieux – que dis-je ? Cet acteur : non, cette créature réelle et douée d’une vie autonome-, plus sûrement qu’en des bras de chair, il enlèvera ta fille cette nuit dans son étreinte de celluloïd et l’âme de ta fille sera sauvée.

Extraits tirés de Les Rayons et les ombres - Cinéma de Robert Desnos - Gallimard