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Films

Rubber : interview Quentin Dupieux - sur Excessif

Dirt Noze, le 24 novembre 2010

Est-ce qu’un pneu peut tuer et tomber amoureux ? Est-ce qu’il est encore possible de proposer un cinéma autre ? Est-ce que les surréalistes ont encore l’appétit de merveilleux ? Après Steak, Quentin Dupieux (alias Mr Oizo) teste les limites du spectateur dans Rubber.

Comment est né Rubber ?

Pendant un an, j’ai écrit le scénario d’un film intitulé Réalité, sur un créateur incompétent, prisonnier d’un tourbillon surréaliste et comique. J’en avais fait une première version « aboutie » ; et cette période d’écriture m’a un peu ennuyé. Je voulais absolument tourner. Quand j’ai vu que l’on commençait à entrer dans une phase de recherche de financement, je n’ai pas eu envie d’attendre les retours de comédiens qui te rappellent deux mois plus tard pour te dire qu’ils ont à peine commencé à lire. Avec mon producteur, on a décidé de faire un film en attendant, avec peu de moyens. On s’est donné une période, un budget pour tourner à fond les ballons.

En voyant Rubber, on pense beaucoup à Non-Film, le moyen-métrage que vous aviez réalisé avant Steak...

En fait, Rubber est plus écrit. Pour Non-Film, j’écrivais tous les jours. Je me levais, j’écrivais. L’autre différence, c’est la caméra (le Canon 5-D) qui a tout changé : elle permet de tourner à une vitesse folle, sans chef-opérateur ni technicien. Pendant le tournage, il n’y avait que les comédiens, un ingénieur du son et moi. A écran, ça donne un vrai film. Je ne veux plus tourner en pellicule, c’est fini. Cette machine est rouillée, il faut en finir avec la caméra 35, il faut en finir avec les techniciens, il faut en finir avec les camions qui ne servent à rien... Sur Steak, je n’arrêtais pas de m’embrouiller avec tout le monde à tout gérer. Heureusement qu’Eric et Ramzy étaient là, d’ailleurs. De toute manière, je veux me spécialiser dans cette catégorie de films express, en faire deux par an et dont un serait « populaire ».

Avec le recul, que pensez-vous de la réception de Steak ?

Pour Steak, on a eu le mauvais public en salles... Par la suite, des mecs ont dû le louer, de manière un peu honteuse, pour voir ce que c’était. Je ne sais pas ce que ça représente mais j’ai le sentiment qu’il y a une vraie communauté de fans hardcore de Steak. Quand tu découvres un film toi-même, que tu vas le chercher, tu peux te l’approprier. C’est l’inverse de Avatar : quand je l’ai regardé, j’ai passé un bon moment. Mais après coup, je me suis dit que j’étais un vrai demeuré d’aimer cette merde. A l’inverse, tout le monde disait que Steak était de la merde. Et d’un seul coup, certains se le sont appropriés, notamment sur Facebook. Même sur les forums à la con, il y a eu des discussions de dingue autour du film.

Pensez-vous que les spectateurs seront plus réceptifs à Rubber qu’à Steak ?

Rubber est plus accessible parce qu’il y a des codes connus, des clichés. Un mec pas trop exigeant qui a envie de voir un film fantastique peut s’y retrouver. C’est cool de voir un pneu vivant, c’est cool de voir un lapin explosé, ce genre de trucs. Jusqu’ici, tout va bien. Trop bien même. C’est suspect quand les gens aiment trop un film. Le fait qu’ils soient capables de l’analyser aussi facilement, je trouve ça douteux. Comme si j’étais calculateur et accessible, volontairement. Je suis content que le film soit lisible, mais l’intention n’était pas d’être lisible. Ce qui aide, c’est que le film est « international ». Pour faire une comparaison, Steak ne s’adressait qu’à la France et on a eu que des retours français. Studio Canal avait décidé de ne pas montrer le film à la presse. Avec le recul, la France était le vrai souci. Les seuls critiques que j’ai viennent de mecs qui pensent pouvoir faire mieux. Aux Etats-Unis, je vois des critiques mille fois plus constructives. Sur Internet, notamment. Dans le bon comme dans le mauvais, c’est moins subjectif et plus proche de ce que je pense. En France, les critiques sont souvent des juges qui distribuent les bons points. Ça me gêne. C’est pareil pour Steak : les mecs qui dégueulaient sur le film n’avaient rien à dire, à part « c’est à chier ».

Dans Rubber, les spectateurs qui assistent au film avec des jumelles sont ceux qui regardaient Steak ?

Evidemment, il y a un petit parallèle. Je les force à regarder et en plus, ils doivent faire un effort monumental pour voir le film. On imagine en plus qu’ils n’entendent même pas le son. Quand les mecs continueront à prendre des billets pour aller voir des trucs complètement nazes, je continuerai à dire ce que j’en pense. Trop souvent, au cinéma, le spectateur est une larve qui reçoit des informations (grosso modo, je dois être triste, je dois être heureux ou je dois être énervé). Dans Rubber, au moins, il doit faire un effort. Avant Cannes, on s’est fait taper sur les doigts par des mecs qui nous expliquaient que Rubber était bien sympa mais que c’était un court métrage étiré en long... En gros, on était conditionné à faire une sortie atypique, comme Electroma des Daft Punk. Une tournée avec une copie qui se déplace de cinéma en cinéma. Durant le festival, Rubber est devenu le film le plus barré de l’année. Le film s’est vendu le lendemain de la projection comme du petit pain. Plus les jours passaient, plus on avait de bonnes nouvelles : l’Espagne le voulait, l’Italie le voulait... Maintenant, Rubber est vendu dans 15-20 pays. C’est exceptionnel.

Vous citiez Blier et Buñuel pour Steak. Quelles étaient vos références pour Rubber ?

Ma principale inspiration pour Rubber reste Duel. Spielberg a fait un pur chef-d’œuvre en réussissant à créer une terreur avec un objet « normal ». Ce n’est pas un extra-terrestre ni un monstre ni un psychopathe, c’est juste un camion. Dans Steak, il y avait déjà une tension latente de film d’horreur. Sans doute parce que j’aime ce genre et que c’est toujours en moi. Mais je sais pertinemment que je détesterais réaliser un film d’horreur. Je pense que les vrais films du genre sont derrière nous. Il y avait un peu de naiveté. Aujoud’hui, les films d’horreur sont cyniques : ils ont conscience des codes. J’adore Scream, mais ça a relancé le film d’horreur autant que ça l’a tué. Tous les films qui ont suivi misent sur les clins d’œil. Les nouveaux Massacre à la tronçonneuse sont à des années lumière de la vraie angoisse. Les comédiens sont bien coiffés, ça n’a plus aucun intérêt. Et si on proposait aujourd’hui une image crade, ce serait un effet de style. Bref, c’est devenu un genre à la con. Un film comme Morse, je trouve ça beau mais chichiteux. Le côté Pub Ikéa m’ennuie. D’ailleurs, dans Rubber, je joue beaucoup sur les ruptures de ton. C’est hyper posé, très photographique, avec des cadres. Et d’un seul coup, il y a des moments de pure hystérie comme lorsque l’on balance une dinde aux spectateurs. D’un coup, ça devient Zombie (George A. Romero, 1979) ou Cannibal Holocaust (Ruggero Deodato, 1980).

Comment avez-vous évité le piège du pastiche ?

Je me méfie beaucoup de ça. Je pense que quand t’adores David Lynch et que t’as envie de faire du David Lynch, t’es déjà sur une mauvaise route. Tu feras toujours moins bien. Un mec qui se pose comme disciple, c’est mal barré. C’est pareil dans la musique. Si tu admires un mec, il ne faut surtout pas aller dans sa direction ; sinon, c’est une catastrophe. On a l’impression que l’on peut choisir ses références et ses influences. Or, ce n’est pas vrai. Tu es constamment influencé par tout et n’importe quoi. Un jour, tu peux voir une merde et le soir, au moment d’écrire ton scénario, cette merde continue de te hanter et malgré toi, cette merde te sert. Une fois, je me suis déjà surpris à recracher un truc que je venais de voir dans un navet. Un mec qui a envie de faire du Kubrick est forcément un pauvre type. Venir après un truc déjà fait, c’est le truc le plus nul en art. S’il s’agit d’être le premier de classe... Regarde Jean-François Richet qui fait Mesrine. C’est bien tenté, mais il n’y a plus rien de lui sauf son fantasme de film à la ricaine. Son objectif est à chier. Hier, j’ai revu vingt minutes du Charme discret de la bourgeoisie. Instantanément, quand je vois ça, j’ai envie de faire du cinéma. Je pars du principe que je suis au tout début de ma « carrière » - je déteste ce mot -, et je trouve ça intéressant de fabriquer par moi-même. Ce que je préfère dans mes films, ce sont les maladresses. Inventer est toujours plus jouissif. Les premières fois où j’ai fait un champ-contre champ, dont les règles sont pourtant immuables, ça m’intéressait tellement pas que j’ai eu l’impression de l’inventer.

Quelle a été votre première passion : le cinéma ou la musique ?

J’ai toujours été branché cinéma, plus que musique... Moi, je suis Massacre à la tronçonneuse ou rien. Ce film a marqué mon adolescence, j’en rêvais... Je me souviens que, dans un vieux numéro de Mad Movies, un mec avait passé une annonce où, pour 300 francs, il proposait d’envoyer le gant de Freddy avec de vrais couteaux. Evidemment, je l’ai contacté... Ado, j’avais une carte de vidéo club et j’allais louer des trucs et je me faisais flipper. J’avais un ou deux copains avec qui je partageais cette passion. C’est tellement basique d’aimer ça à 15 ans que ce n’est pas intéressant, mais oui, je viens de là.

Quels sont les films les plus extrêmes que vous ayez trouvés en vidéo-club ?

Des films qui ne cherchaient pas à faire rire, comme Cannibal Holocaust. Dans tous les films qui ont une dimension fantastique comme Freddy ou Halloween : La nuit des masques, tu te rends compte que les effets spéciaux sont cheap, même si t’as les boules... Le fait que le tueur ne meurt jamais a quelque chose d’inoffensif. Pour le spectateur, c’est comme un train-fantôme. Tu sais que t’as peur mais c’est pour rire. En revanche, je ne suis pas fan des trucs un peu limite comme Face à la mort et toutes les suites de merde sur lesquelles je suis tombé par hasard. A l’époque, les interdictions étaient assez light, donc ça passait plus facilement qu’aujourd’hui.

Propos recueillis par Romain Le Vern

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