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Musique

Lil B, the Based God

Portrait

Dirt Noze, le 17 janvier 2012

Mais qui est Lil B, autoproclamé the Based God ?

Est-il Dieu vivant ? Un nouveau messie venu prêcher l’amour et la paix dans les ghettos américains ou juste un simple rejeton de la décadence de l’Occident ? A-t-on affaire à un rappeur génial qui révolutionne le genre, un simplet qui rape avec un flow monotone des absurdités sur des instrus pas terribles, ou bien un artiste conceptuel post moderne et cynique qui joue avec les codes du rap outrancier et matérialiste, pour nous confronter à l’absurdité de la société contemporaine ?

Lil B, neveu spirituel de Kool Keith et grand admirateur de Prince et d’Antony and the Johnsons, est sûrement un peu de tout ça en même temps. Si il est si difficile à saisir, c’est peut-être parce qu’il est véritablement, comme il le dit lui-même, un "être protéiforme ayant établi domicile dans un ordinateur". Vrai ou faux messie d’une religion imaginaire évoluant sur différents niveaux de réalité, ce n’est peut-être pas pour rien que le Based God vient de Berkeley, la ville de Philip K. Dick.

I’m working for the future, cause I live in a computer

Né en 1989 et originaire de Berkeley en Californie, Lil B, de son vrai nom Brandon McCartney, a commencé sa carrière de rappeur à 15 ans avec le collectif juvenile hyphy The Pack rendu célèbre par le hit Vans.

Mais c’est en solo que l’artiste égotique aux multiples personnalités [1] va véritablement se réaliser. Il se fait rapidement connaître grâce à une utilisation habile (et maladive) d’internet et des réseaux sociaux : invasion littérale de Myspace avec plus de 150 comptes, profils Facebook et Twitter hyperactifs, Tumblr, nombreux clips Youtube tournés à la va-vite, memes en tous genres, des mixtapes gratuites par dizaines et plus de 1000 chansons uploadées sur internet. On peut trouver sur le peer 2 peer une mixtape réunissant 676 morceaux gratuits de Lil B.

Le rappeur de la Bay Area est boulimique et Lil B développe dans cette accumulation de titres à la qualité assez inégale une écriture automatique qu’il appelle "Based Freestyle" et au travers de laquelle il dit qu’il tente de laisser parler son inconscient.

L’homme se présente souvent torse nu, porte de nombreux tatouages (une langue "Rolling Stone" sur la gorge et "Lord, protect me from myself" sur la poitrine), dents en argent et colliers en or. Ses paroles sont crues, salaces et vulgaires, on y retrouve tout le bestiaire du rap de gangster (bitches, grills, guns ...) mais dans le même temps il se traite lui-même de "bitch", de "faggot" ou de "princess", prône l’amour, la positivité et le respect d’autrui.

You’re tripping bitch
I’m iced out
Iced up bitch with your girl on my dick
Loud pack nigga with your girl on my tip
Damn Based God, I’m a pretty bitch
[...]
Yeah nigga I’m that pretty bitch
I’m the prettiest bitch alive nigga, I’m the finest rapper alive nigga

(Lil B - Pretty Bitch)

Thanks God I’m Based

Apparemment Brandon McCartney aurait toujours été l’original de service, le mec bizarre. Les autres l’appelaient tout le temps "based" ou "basehead", synonyme de "crackhead" ("accros au crack" ou "cracké de la tête"). Lil B décida de se réapproprier cette expression négative pour la rendre positive. Pour lui et pour tous les habitants du Based World, to be based signifie "être libre" et "vivre sa vie comme on l’entend sans se soucier de ce que pensent les autres".

Aller voir les tonnes de définitions hilarantes du mot based (on peut aussi tenter pretty bitch) sur urbandictionary.com nous rappelle qu’internet est la maison du Based God et un de ses moyens d’expression au même titre que la musique. Car pour bien appréhender son oeuvre il faut comprendre qu’elle est transmedia et qu’il y intègre sa musique mais également ses délicieuses pochettes de disques aux styles naifs, son livre, ses réseaux sociaux, les messages de ses followers, les mèmes, les clips, les concours de "cooking dance" [2] sur Youtube, etc...

Rain in England

En 2010 Lil B sort son premier véritable album [3] sur le label Weird Forest. Pour une premiere sortie commerciale, Lil B n’a pas fait dans le plus vendeur, Rain in England est un album réellement à part dans le rap game. Sur des instrumentations naïves et dépourvues de beat, uniquement composées de nappes de synthétiseurs new age aux sonorités cheap, le Based God nous livre son monde intérieur de façon surprenante. Dans un flow à la limite du spoken word il aborde des thèmes très personnels, comme ses craintes, les femmes, l’amour, la haine, le rêve, la famille...

Le disque flirte avec le kitsch et le ridicule mais une fois passée la surprise, on se surprend à se laisser prendre par le truc, voire à être touché par des moments d’une honnêteté assez étonnante.

Long nights, I try to find, someone I seem to like,
That’s my life, everyone say I’m good, but I’m not, I seem to find love in,
the strangest spots...
[...]
Often fight myself, my emotions take over,
why can’t I love, how am I suppose to,
scared of getting hurt by the woman, couldn’t take her loving ...

(Lil B - Love Is Strange)

I’m Gay

En 2011, B crée la polémique (voir la réaction très lol du cracké DMX) dans le milieu du rap, largement homophobe, en annonçant la sortie d’un album intitulé I’m Gay. Affublé d’une superbe illustration de pochette parodiant le "I Want You" de Marvin Gaye, l’album héritera à sa sortie du sous-titre (I’m Happy).

Dans cet album, bourré de samples tirés de hits célèbres, Lil B se veut plus ouvertement engagé que d’habitude, il y fuck moins de bitches et prêche pour la liberté psychologique de ses congénères en les détournant de la culture thugs, comme dans I hate Myself :

I see young girls hanging off the corner
And they searching for love in the wrong space
Gave her mind to a pimp, now he’s changing faces
Sometimes I just wish I could trade places
I hate myself for being taught the rules of the hood
Which don’t matter, no respect and no love
[...]
I’m ready to give up my old thoughts
I’mma move past what I saw
I’mma do what I want and be happy
I’m not gon’ rob or kill to survive
Everything I’ve seen was a lie
I’m not ready to die, I love myself

(Lil B - I Hate Myself)

Et pour ceux qui n’auraient pas les 10 dollars pour acheter son album, Lil B a twitté un lien de download accompagné de ce message :

CUZ I LOVE YOU IF YOU DONT HAVE 10 DOLLERS TO BUY MY NEW PROJECT HERE IT GOES FOR FREE- Lil B http://www.mediafire.com/?o4z4ebht1gettlh


Lil B @ Living Gonzo

Pour finir : Un petit doc sur Lil B où on le voit trainer à Berkeley, tchatcher les passants et faire son footing.

LIL B @ Living Gonzo

basedworld.com


[1Brandon McCartney, Lil B, Based God, Dior Paint, Pretty Boy, Pretty Bitch, Mel Gibson ...

[2Le Cooking Dance est une danse inventée par Lil B dont les mouvements sont inspirés des geste du cuisinier au travail. On se filme puis poste ses vidéos sur Youtube. Les meilleurs performers reçoivent le titre de Master Chef.

[3L’album a même droit à une édition double vinyle !!!