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Musique

$uicideboy$

Cuvée 2015 : Suicide, Triple 6, bayou, aliens et codeine.

Dirt Noze & Jocelyn Anglemort, le 12 octobre 2015

Les deux cousins suicidaires de la Nouvelle Orléans, avec leur "devil shyt" cloudy, ne sont que la partie émergée d’une scène foisonnante qui revisite le rap démoniaque de la Three 6 Mafia.

$crim (AKA Yung Chri$t, Slick Sloth...) et Oddy Nuff (AKA Ruby Da Cherry, Da Snow Leopard), le duo de rappeurs louisianais revisite l’héritage sataniste du rap de Memphis des années 1990, tendance Triple 6 Mafia, comme l’ont fait Bones ou les membres du Raider Klan avant eux, en y ajoutant une bonne dose de sensibilité, de culture geek et d’ironie. En l’espace de deux ans, les $uicideboy$ ont réussi à créer une oeuvre solide et conséquente qui passe de moins en moins inaperçu.

Le spleen du bayou

La technique rapologique des deux garçons suicidaires reste simple et dans la tradition d’un rap de genre. Mais en surjouant, au ralenti, le "double time" typique de Lord Infamous, en poussant plus avant les mélodies caverneuse de Koopsta Knicca, et en ajoutant à la sauce des hurlements guturaux venus du metal, ils font avancer, malgré tout, le genre et l’emmène dans de nouvelles directions. Les arrangements vocaux sont très construits, et les flows des deux compères sont riches et versatiles. Cela s’en ressent particulièrement dans leurs dernières livraisons. Ils marient dans leurs morceaux, leur lugubre passion pour le Three 6 Mafia, les opiacés et la codéine, avec des références à une culture internet faites d’anime, d’aliens et de théories du complot.

Les beats, tous concoctés de main de sorcier par $crim (celui avec les mèches), sont de leur côté, de tout premier choix. Également bien calés sur les railles du genre, ils sont clairement basés sur les recettes qui ont fait le succès de DJ Paul (abondemment cité et samplé) et du Memphis des années 1990. Cependant nos deux chevelus aux croix à l’envers, y ajoutent un feeling "cloudy" et des sonorités "fleur bleue", donnant à leurs ballades suicidaires une saveur doucâtre qui les rends plutôt conviviales.

4. What does the theme of suicide represent in your name, lyrical content, and overall aesthetic ?
Kill yourself.

A Selfie with $uicideboy$ (Internet Hippy)

Si la musique du duo, moite et bourbeuse, évoque à la perfection le climat de leur région, les visuels du groupe, et leur clips vidéos, concoctés par Oddy Nuff (celui avec la grosse chevelure), ne sont pas en reste. Ils rejouent une imagerie rap gothique, faites de spleens désabusés et de descentes difficiles autour de piscines fanées, en surimpression de bayou sous dégradations VHS.

Kill Yourself

$crim a commencé à mixer à l’age de 13 ans. De clubs en mixtapes, il finit par se faire une réputation dans les milieux indépendants. Ce qui l’amena à signer un contrat d’un an avec le label Universal Republic, comme producteur maison. Il y aurait notamment produit le beat pour Ain’t Worried About Nothin, le hit de French Montana. En 2013, il met cependant fin à un contrat avantageux, mais qui ne lui permettait pas de travailler sur des projets plus personnels.

Comme on est décidément bien mieux en famille, il décide alors de s’allier à son cousin, Oddy Nuff, également musicien et qui fait du bruit depuis une dizaine d’années, comme batteur et vidéaste, dans la scène punk-rock de la Nouvelle Orléans. Ils échafaudent ensembles le projet $uicideboy$ qui mixera les imageries metal et rap. $crim s’occupera de la production, Oddy Nuff de l’imagerie, et tout deux rapperont, non sans une bonne grosse dose d’ironie, des lyrics cyniques et désabusées jusqu’à l’absurde, sous les masques d’une ribambelles d’alter egos. En découlera en 2014 une série de mixtapes bien nommée KILL YOURSELF, qui sera diffusée très régulièrement sur leur Bandcamp, et qui compte à ce jour 10 épisodes.

All of this pussy the devil
All of this cash is the devil
All of this ash is the devil
All of these pills is the devil
All of this lean is the devil
I wont go to heaven

– $uicideboy$

Afin de rester complètement indépendants, les deux compères montent ensemble la structure G*59 Records, qui accompagnera également le rappeur Ramirxz (voir ci-dessous).

En cette année 2015, nos rappeurs gothiques sont en forme, ils continuent à nous livrer pas moins d’un projet par mois, souvent au format court (entre cinq et sept morceaux pour beaucoup), et dont la qualité ne fait que s’affirmer de sortie en sortie. La dernière en date, My Liver Will Handle What My Heart Can’t, est plus fournie qu’à l’accoutumée. Elle est également plus sombre et violente que les précédentes.

Mais toutes sont recommandables et on conseillera à l’auditeur curieux, mais à l’emplois du temps chargé, de commencer avec les projets courts, comme, par exemple, $outh $ide $uicide (en compagnie de Pouya) ou Black $uicide Side C (avec Black Smurf), qui sont une bonne porte d’entrée à l’univers des $uicideboy$.

Cependant, chaque projet est vraiment de qualité et possède au minimum une tuerie. Et rapidement, on se surprend à attendre, comme pour une bonne série, la prochaine livraison, et notre dose de spleen du bayou.

 Bandcamp
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 G*59


En 2015, une foule de jeunes musiciens nagent dans les mêmes eaux boueuses que les $uicideboy$. On a demandé à Jocelyn Anglemort, éminent spécialiste de la question et dont les nombreux mixes font la part belle au rap satanique du sud des États-Unis, de nous faire une visite guidée.

La voici, accompagnée d’une sélection de titres à télécharger :

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Pour plus de diablerie

Planqués derrière des appellations comme "trill" , "phonk", et marqués par une imagerie satanique un peu cheap, on retrouve une montagne de rappeurs/producteurs low-fi biberonnés aux sorties Hypnotize Minds, à Tommy Wright III et Playa Fly, ce son crado et vampirique du Tennessee.

Abrogé de contraintes géographiques, Soundcloud et Bandcamp en regorgent. Heureusement, dans les ténèbres du web, certains brillent plus que d’autres. Sélection.

Smug Mang a grandi dans une réserve indienne à la frontière canadienne, son empoisonnement aux Xanax bars décuple la léthargie souvent symptomatique de cette scène. Je conseille le projet Depressed Millionaire, et en cette triste actualité le morceau « Samurai » avec son sample de Koopsta Knicca.

Bukkweat Bill, texan élevé en Floride, c’est un peu le Fetty Wap que l’on ne peut pas domestiquer, celui qui produit la plupart de ses morceaux, les poches toujours bien remplies de cailloux.

SCHEMAPOSSE c’est le rappeur/producteur JGRXXN qui invite son répertoire téléphonique pour composer des mixtapes. Compilations indispensables, et peut-être un des rosters les plus intéressants du moment (DJ KILLA C, Zootleggz, SmokeOutDog..).

Mr Sisco (Détroit) est, malgré son jeune âge, déjà assis une discographie qui fait mal au crâne, et qui mériterait à elle seule un article, aussi bien en tant que rappeur qu’à la production. Pour commencer, je conseille l’album Detroit Gucci Mane et le double-disque More Than Just Beatz, un chouette best-of, et pour approfondir voici une très bonne interview en français (par Jean-Pierre Labarthe).

Dj Smokey est surtout connu comme producteur pour Yung Simmie (désormais en beef, j’ai peur que l’intérêt pour le rappeur chute rapidement). Gorgés de samples, toutes ses k7 sont des tueries. La BO d’une arrivée extra-terrestre où tout le monde s’allume à la psilocybine en jouant à Mario Kart. L’avenir, c’est lui.

⁃ La particularité de xoxaineDEEZY c’est son côté "smoof" et "laidback". Moins caverneux que les autres artistes cités ici, on retrouve tout de même de longues et lourdes basslines pour accompagner ses histoires de fumette et de cadavres.

G.O.D.S est un collectif qui regroupe 11 rappers et producteurs basés un peu n’importe où sur la planète. Mention spéciale à Fukkit (Floride) pour son très-bon-mais-trop-court Miami Hotboy et au très productif californien Ramirxz.

SO6ix c’est Locodunit et Lil Infamous, le fils de Lord Infamous, qui perpétuent la tradition familiale avec un mimétisme assez fou. Le projet a évidemment sa limite, c’est un peu Rap Game Gérald Dahan où on rappe sur les instru’ de la Triple Six en déroulant les flows et thèmes des aînés. Mais comme watching me est un incroyable tube, ça suffit à s’y intéresser.

Baker x Phonk c’est toujours la même histoire. Quand ce ne sont pas de géniaux et ténébreux instrumentaux, on y parle de Nashville, son diable, sa dope, son sang qui coule, etc.. Ici on invente pas la machine à courber les bananes, mais la tape Night Breed est une tuerie.

Black Smurf pose sa voix éraillée à la Garou sur des instru’ rappelant Philip Glass, mélodies enfantines et échos déchirants. Pas vraiment dans l’esprit d’une sortie à Walibi schtroumpf.

⁃ Enfin, je me devais quand même de parler de Chris Travis, Yung Simmie, Denzel Curry, Key Nyata, Spaceghostpurrp, soit le Raider Klan et le reste de la FLoride, sûrement les plus visibles de cette scène. Alors j’ai choisi un morceau de Robb Bank$, parce que son tout frais Year Of The Savage est excellent, et aussi parce que c’est sans doute celui qui possède l’espérance de vie la plus courte.

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